Alors que la finance mondiale se démocratise à grande vitesse, la Bourse de Tunis reste une inconnue pour la majorité des Tunisiens. Entre incompréhensions, absence de culture financière et manque d’incitations claires, le marché financier tunisien évolue dans une relative indifférence. Pourtant, les enjeux sont immenses.
Il suffit d’interroger autour de soi : rares sont les Tunisiens capables d’expliquer le fonctionnement d’une action, encore moins d’en posséder une. Pour beaucoup, la Bourse évoque une zone grise entre spéculation hasardeuse, jargon incompréhensible et gains réservés à une élite. Et ce rejet, ou plutôt cette absence d’intérêt, n’est pas sans conséquence.
Un outil économique sous-exploité
Créée en 1969, la Bourse de Tunis (BVMT) devrait, en théorie, jouer un rôle central dans le financement de l’économie tunisienne. Elle offre aux entreprises la possibilité de lever des fonds pour leur développement, tout en permettant aux citoyens de devenir actionnaires et de profiter de la croissance économique. Mais dans la pratique, la Bourse reste marginale dans le paysage financier national.
Avec à peine une centaine d’entreprises cotées — dont une grande partie issues du secteur bancaire ou de l’assurance — la capitalisation boursière tunisienne représente à peine 20 % du PIB, là où les pays émergents les plus dynamiques dépassent les 50 %, voire les 70 %. Pire encore, la majorité des transactions sont concentrées entre institutions, laissant peu de place aux investisseurs individuels.
Une méfiance culturelle tenace
Plusieurs raisons expliquent cette mise à l’écart. La première est culturelle. L’éducation financière en Tunisie est quasi inexistante. Le système scolaire ne prépare ni à la gestion de patrimoine, ni à la compréhension des mécanismes de l’investissement. Résultat : le citoyen tunisien moyen préfère placer son argent dans des biens tangibles, comme l’immobilier ou l’or, quitte à négliger leur rentabilité réelle.
L’idée même de « faire travailler son argent » en investissant en Bourse suscite méfiance et scepticisme. L’instabilité politique, la volatilité perçue du marché et les souvenirs douloureux de quelques scandales financiers renforcent ce désintérêt. La Bourse est vue comme un terrain glissant, réservé aux insiders.
Une communication déficiente
À cela s’ajoute un déficit criant de communication. Peu de campagnes pédagogiques sont menées pour vulgariser les concepts financiers de base. Les médias généralistes abordent rarement la Bourse autrement que lors de chutes de marchés ou de crises, et les informations disponibles en ligne restent techniques, voire hermétiques.
Même du côté des intermédiaires en Bourse et des sociétés de gestion, l’effort d’éducation est timide. La plupart des plateformes restent pensées pour des initiés, avec peu d’accompagnement pour les primo-investisseurs. Pourtant, l’accès est aujourd’hui simplifié : il est possible d’ouvrir un compte-titres dès 500 dinars, de suivre les cours depuis une application mobile, et d’acheter des actions de grandes entreprises tunisiennes.
Mais encore faut-il que le grand public le sache.
Des opportunités bien réelles
Ce désintérêt est d’autant plus regrettable que certaines entreprises cotées à la Bourse de Tunis affichent des performances solides et versent régulièrement des dividendes intéressants. Dans un contexte où l’inflation grignote les rendements des comptes bancaires, la Bourse reste l’un des rares placements capables, à moyen terme, de générer de la valeur.
L’enjeu n’est donc pas uniquement financier, mais aussi citoyen. Un pays dans lequel les citoyens sont actionnaires est un pays où l’économie est partagée, où les classes moyennes peuvent se constituer un patrimoine dynamique, et où le financement des entreprises repose moins sur la dette, plus sur le capital.
Vers une démocratisation de la finance tunisienne ?
Démocratiser la Bourse ne signifie pas inciter à la spéculation. Cela signifie donner aux Tunisiens les moyens de comprendre, de comparer, d’investir progressivement. Cela signifie intégrer la culture financière dans les cursus scolaires, créer des contenus accessibles en arabe dialectal, proposer des simulateurs d’investissement, et encourager les jeunes à penser au-delà de l’immobilier.
Cela suppose aussi que les entreprises privées, notamment les startups et les PME à forte croissance, envisagent sérieusement la cotation en Bourse comme levier stratégique. Car pour que les particuliers investissent, encore faut-il leur offrir des projets à soutenir.
Une réforme de mentalités plus qu’un enjeu technique
Ce qui manque à la Bourse de Tunis, ce ne sont ni les infrastructures, ni les régulations. C’est une révolution mentale. Il faut sortir de la logique du court terme, du tout immobilier, et oser une approche moderne de l’enrichissement.
Investir en Bourse ne devrait pas être perçu comme un pari. C’est un acte de confiance dans l’économie de son pays. C’est aussi une manière de prendre part, même modestement, à la création de valeur collective.
Il est temps que les Tunisiens cessent d’être simples spectateurs de la croissance… pour en devenir les copropriétaires.